Le surnom est aussi flatteur qu’il est lourd à porter : la « 911 à la française ». Depuis des décennies, cette expression colle à la carrosserie en polyester de l’Alpine A310 V6. Née pour succéder à la mythique berlinette A110.
Elle avait l’ambition de faire entrer la marque de Dieppe parmi les grandes GT européennes. Sa cible désignée ? L’indétrônable Porsche 911, la référence absolue.
Mais cette comparaison, souvent répétée, est-elle vraiment justifiée ? L’A310 V6 avait-elle réellement l’étoffe de sa rivale allemande, ou ce surnom cache-t-il une ambition un peu démesurée ? Nous allons explorer ensemble, en décortiquant le mythe pour trouver la vérité.
L’Ambitieux Projet : Une GT Française Face à l’Élite Européenne
Au début des années 70, Alpine est à l’apogée de sa gloire. L’A110 a tout gagné en rallye et a conquis l’enthousiasme des passionnés. Mais pour survivre, Jean Rédélé, son fondateur, sait qu’il doit monter en gamme.
L’objectif est de créer une voiture de Grand Tourisme plus confortable, plus puissante, capable de rivaliser avec les meilleures productions européennes.
Cependant, le premier choc pétrolier de 1973 frappe de plein fouet ce projet. L’époque n’est plus aux sportives pures et dures. Il est donc nécessaire de concevoir une voiture qui soit à la fois performante et en phase avec son temps.
Face à elle, Porsche, avec sa 911, incarne la perfection, l’efficacité et une image de marque inébranlable. Le défi pour la petite marque française est considérable : comment rivaliser avec un tel monument ?
Le Grand Match : Alpine A310 V6 vs Porsche 911
Pour comprendre ce qui les rapproche et, surtout, ce qui les sépare, il est essentiel de les comparer point par point. Car au-delà des chiffres, ce sont deux philosophies de l’automobile qui s’affrontent.
Choc des Philosophies : Style et Design
Dès le premier regard, tout les oppose. L’Alpine A310, surtout dans sa version restylée par Robert Opron, est un pur produit de son époque. Avec ses lignes tendues, son profil en flèche et son regard perçant sous une large verrière, elle a des allures de vaisseau spatial.
C’est une voiture audacieuse, spectaculaire, qui ne laisse personne indifférent.
La Porsche 911, elle, joue une autre partition. Son design est une évolution, pas un bouleversement. Ses galbes reconnaissables entre mille, sa silhouette immuable et son regard rond traversent les décennies sans prendre une ride.
Elle est l’icône intemporelle, l’archétype de la voiture de sport. L’une représente l’audace futuriste, l’autre la force de la tradition.
Duel de Mécaniques : V6 Roturier Contre Flat-6 de Légende
L’essence d’une sportive, c’est son moteur. Et là encore, le fossé est profond. L’Alpine embarque le fameux V6 PRV (Peugeot-Renault-Volvo), un moteur né d’une collaboration tripartite.
S’il offre un couple généreux et une puissance respectable (150 ch), il n’a pas la noblesse mécanique de son concurrent. Sa sonorité est moins envoûtante et ses origines « roturières » lui ont souvent été reprochées.
En face, le Flat-6 Porsche est une légende. Ce moteur, spécialement conçu pour la 911, est une pièce d’orfèvrerie. Son chant métallique à haut régime, sa souplesse et ses performances en font une référence absolue.
Sur ce point, la confrontation est évidente : le moteur allemand surclasse le V6 français en termes de prestige et de sensations pures.
Le Verdict de la Route : Agilité Française ou Rigueur Allemande ?
Sur la route, les différences de philosophie se confirment. Grâce à son châssis-poutre et sa carrosserie en polyester, l’Alpine A310 est un poids plume. Cette légèreté lui confère une agilité remarquable.
Elle est joueuse, vive, et demande un pilotage fin pour en tirer la quintessence. Son caractère « tout à l’arrière » la rend exigeante à l’approche de ses limites, un trait qu’elle partage philosophiquement avec son aînée l’A110.
La Porsche 911 est d’une autre trempe. Plus lourde, elle impressionne par sa rigueur et son efficacité redoutable. Elle est soudée à la route, d’une précision chirurgicale et met davantage en confiance son conducteur.
On parle ici d’agilité de ballerine pour la Française contre une efficacité quasi militaire pour l’Allemande.
À Bord : Charme Artisanal ou Perfection Germanique ?
Pénétrer dans l’habitacle de l’A310, c’est accepter un certain charme artisanal. L’ambiance est unique, le design du tableau de bord est original, mais la finition est le point faible de la voiture. Les plastiques et les assemblages sont typiques des productions françaises de l’époque et ne peuvent rivaliser avec la qualité perçue de la Porsche.
Chez l’Allemande, c’est un univers différent. Le sérieux quasi clinique de la construction, la qualité des matériaux, l’ergonomie parfaite… tout respire la solidité et la durabilité. Cela reflète deux cultures industrielles : la passion et le système D à la dieppoise face à la perfection germanique de Stuttgart.
Alors, Verdict ? L’A310 V6 : Une « Fausse » 911, une « Vraie » Alpine
Au terme de ce comparatif, il est évident que la comparaison directe est limitée. Non, l’A310 V6 n’est pas une copie de la 911 et n’offre pas les mêmes prestations. Elle est moins performante, moins bien finie et son moteur est moins noble.
Mais la juger sur ces seuls critères serait une erreur. L’Alpine n’est pas une « sous-Porsche », c’est une interprétation différente de la GT. Elle mise sur son style unique, sa légèreté et son caractère bien trempé.
Ses imperfections font aujourd’hui partie de son charme. Elle offre une expérience de conduite authentique, moins filtrée, qui demande un véritable engagement de la part de son pilote. Elle est, en somme, une « vraie » Alpine, fidèle à l’esprit de la marque.
L’Héritage Aujourd’hui : La Revanche de l’Outsider
Longtemps restée éclipsée par la 911 et même par sa propre sœur, l’A110, l’A310 V6 prend aujourd’hui une magnifique revanche. Sa cote sur le marché de la collection ne cesse de grimper, signe d’une reconnaissance tardive mais méritée. Elle est devenue une icône de la pop culture des années 80, symbole d’une certaine audace à la française.
Les collectionneurs ne s’y trompent pas : ils ne cherchent pas en elle une alternative bon marché à la 911, mais une voiture avec une forte personnalité, une histoire et une âme que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
L’Alpine A310 V6 n’a peut-être pas l’étoffe technique d’une « 911 à la française« , si l’on s’en tient à une comparaison stricte. Mais ce surnom réducteur a le mérite de situer son ambition. Elle représente bien plus : c’est une GT avec un caractère unique, un chef-d’œuvre de design et le témoin d’une époque où l’automobile française osait encore rêver.
Et n’est-ce pas là l’étoffe d’une véritable légende ?
